Un organisme vivant a deux méthodes pour se défendre contre des pathogènes : il peut soit les éliminer, soit réduire leur impact sur sa santé par d’autres moyens. Le premier mécanisme, la résistance, a été très étudié et implique la production de molécules (anticorps, espèces réactives de l’oxygène, peptides antimicrobiens...) ou l’activation de processus cellulaires (phagocytose, autophagie...) dont le but est de détruire le pathogène. L’étude du second mécanisme, que les écologistes ont baptisé tolérance, est beaucoup plus récente.
Dans ce cadre, la
tolérance se définit comme l’ensemble des mécanismes physiologiques qui participent au maintien de la santé de l’hôte durant une infection, indépendamment du nombre de pathogènes survivant ou se multipliant dans l’hôte. Un mécanisme évident affectant la tolérance est l’intensité de la réponse immunitaire : une réponse immunitaire exacerbée peut causer des dommages collatéraux à cause de l’action des molécules qu’elle produit (espèces réactives de l’oxygène, par exemple) et parce qu’elle utilise de l’énergie qui n’est plus disponible pour les autres fonctions physiologiques.
Nous utilisons la drosophile comme modèle d’étude aux infections bactériennes
[1] et nous intéressons plus particulièrement aux
déubiquitinases dans les mécanismes de contrôle de la réponse inflammatoire ou immunitaire innée. Dans une précédente étude
[2], nous avions montré que la déubiquitinase USP36 empêche l’activation inopportune des réactions de défense de l’organisme en absence d’infection. Au cours d’un séjour dans le laboratoire du Pr David S. Schneider (Microbiology and Immunology Department, Stanford University), l'un des auteur, Emmanuel Taillebourg a étudié les effets de l’infection de mouches drosophile par la bactérie intracellulaire
Listeria monocytogenes. Responsable de sévères infections alimentaires qui affectent principalement les individus immunodéprimés et les femmes enceintes, cette bactérie est largement utilisée comme modèle pour étudier les aspects cellulaires et moléculaires des infections par des pathogènes intracellulaires. Ce travail a montré que l’extinction du gène codant la déubiquitinase USP36 spécifiquement dans les hémocytes (cellules phagocytaires de type macrophage) réduit la survie des mouches infectées par
Listeria[3]. Cependant, cette sensibilité accrue à
Listeria n’est pas accompagnée d’une prolifération accrue des bactéries. Cette particularité indique que l’absence de la protéine USP36 dans les cellules phagocytaires réduit la tolérance à la présence de
Listeria dans l’organisme. De plus, cet effet est spécifique à
Listeria car il n’est pas observé lors de l’infection par d’autres micro-organismes.
Cette étude met donc en évidence un rôle de la déubiquitinase USP36 dans la tolérance aux infections par
Listeria monocytogenes. L’élucidation de ce rôle permettra de mieux comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans la tolérance aux bactéries intracellulaires. À terme, ce type d’étude contribue à la recherche de nouvelles stratégies, différentes de l’antibiothérapie ciblant directement les bactéries, pour le traitement des maladies infectieuses.
Dans la pratique, la
tolérance se définit comme un rapport entre la santé d’un organisme et la quantité de pathogènes qui l’infecte. On dit que la tolérance est affectée quand, pour une même quantité de pathogènes, une diminution de la survie de l’organisme étudié est observée.
Chez l'Homme, les
déubiquitinases sont impliquées dans diverses pathologies inflammatoires, cancéreuses ou de dégénérescence neuronale. Leur fonction biochimique est d’hydrolyser les chaînes d’ubiquitine liées aux protéines. Leurs fonctions biologiques et leurs cibles sont encore peu décrites.