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À l’assaut de la maladie de Crohn

Des chercheurs de notre laboratoire et du DTBS au CEA-Leti, réunis au sein du projet européen NewDeal, proposent une thérapie inédite pour traiter les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme la maladie de Crohn. Les premiers résultats, issus de tests in vitro et précliniques, sont prometteurs.

Publié le 13 juillet 2022
Plus de 3 millions de personnes en Europe, dont 200 000 en France, souffrent de Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici). Et leur incidence est en hausse, notamment chez les sujets jeunes. « Les formes les plus courantes sont la maladie de Crohn et les colites (inflammations du colon) ulcératives, commente Fabrice Navarro, chef de laboratoire au CEA-Leti. Ces pathologies, caractérisées par une inflammation de la paroi de l’intestin, peuvent être très invalidantes. » Aucun traitement curatif n’existe à ce jour. Seuls des médicaments atténuant les symptômes ou prévenant l’apparition des crises aigües, comme les corticoïdes, sont proposés aux patients. « L’arrivée d’anticorps thérapeutiques il y a une vingtaine d’années, la première génération de médicaments biologiques, fut une révolution. Toutefois, ils ne ciblent souvent qu’un médiateur de l’inflammation, et leur efficacité décroît au cours du temps chez un grand nombre de patients. »

Nouvelle stratégie

De récentes découvertes, pointant le rôle des enzymes JAK 1 et JAK 3 dans ces pathologies, ont poussé il y a cinq ans un collectif de chercheurs à élaborer une nouvelle stratégie thérapeutique. « Nous avons conçu, dans le cadre du projet européen NewDeal2, une nanothérapie délivrée par voie orale, ciblant directement JAK 1 ou JAK 3, et ce au bon endroit, c’est-à-dire dans l’intestin », précise l’expert, qui est aussi le coordonnateur du projet. Ces deux enzymes sont impliquées dans l’activation de cellules de la réponse immunitaire, mais dans les Mici, elles sont exprimées en trop grand nombre dans l’intestin, causant les phénomènes inflammatoires observés.

ARN véhiculé par un Lipidot®

Pour les inactiver, les chercheurs ont choisi d’utiliser des petits morceaux d’ARN interférents, qui agissent spécifiquement en bloquant le processus de fabrication de chacune des protéines. Ces ARN, très fragiles, sont vite dégradés dans l’organisme. Tout l’enjeu a donc été de les amener intacts à bon port, grâce à un vecteur performant – le Lipidot® – inséré dans une enveloppe de protection. « Il s’agit d’un système de délivrance innovant de molécules thérapeu- tiques conçu au CEA-Leti, sur lequel nous avons une expertise de près de quinze ans », ajoute Fabrice Navarro. Ces particules sont des billes d’huile de taille nanométrique (10-9 m). Très stables et bien tolérées par l’organisme, elles ont la capacité de pénétrer aisément dans les cellules, par affinité avec les lipides de leurs membranes (voir focus).

Une stratégie thérapeutique efficace

C’est à la surface de ces Lipidots® que les petits brins d’ARN interférents, préparés et sélectionnés pour leur efficacité par le CEA-Irig, ont été disposés. Le tout a été inséré dans une capsule polymérique développée par l’industriel Seps Pharma, également partenaire du projet. Son rôle ? Passer sans encombre le milieu acide de l’estomac, puis se dissoudre dans l’intestin pour y délivrer ses « colis ».
Après quatre années de R&D, le projet New-Deal livre des résultats très prometteurs, que Fabrice Navarro, enthousiaste, résume ainsi : « Non seulement nous obtenons une délivrance de l’ARN au bon endroit, mais il y arrive intact et induit la réponse attendue ». Des expériences in vitro ont notamment montré, grâce à un dispositif mimant le transit gastro-intestinal, la stabilité de la coque polymérique au passage des différents milieux, puis la livraison de l’ARN dans l’intestin. D’autres, conduites in vivo chez la souris, ont confirmé la capacité de la nanoparticule à traverser les différentes barrières biologiques, à entrer dans les cellules inflammatoires de l’intestin, puis à y délivrer les ARN interférents, dont l’efficacité sur l’inhibition de synthèse de la protéine JAK a elle aussi été démontrée.

Préparer le futur essai clinique

L’équipe a même testé son traitement sur un organoïde humain d’intestin proposé par l’hôpital clinique de Barcelone. « Nous avons travaillé sur la protéine JAK 1. Nous obtenons bien une diminution notable de sa production et de l’inflammation associée. L’efficacité est donc ici prouvée, tout comme la très grande spécificité de la stratégie basée sur les ARN interférents », conclut le chercheur. Avec ces preuves de concept, la première marche sur le long chemin menant à l’élaboration d’un médicament est donc franchie. L’heure est désormais à la recherche d’un industriel partenaire pour financer et lancer l’étape suivante, celle de l’essai clinique, c’est-à-dire chez l’humain. Et pour se donner toutes les chances d’aboutir, l’équipe a déjà validé les études de toxicité chez le rongeur et préparé une première ébauche de dossier réglementaire pour le lancement de l’essai clinique.


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